Vendée - Xynthia, une lame de fond qui se retire doucement

Dix ans après, que reste-t-il de la tempête meurtrière qui a balayé le département et réduit à néant le travail de dizaines d’agriculteurs de la cote vendéenne ?

Pour celui qui ne fait que passer, tout a repris sa place. Les débris ont disparu, les exploitations sont debout, les animaux de retour à la pâture. Mais il suffit d’entrouvrir une porte de ces marais, d’effleurer le sujet pour comprendre qu’il n’en est rien.

Vivre en 2020 à quelques encablures du pont du Brault ou de la baie de Bourgneuf, c’est vivre avec les images de cadavres d’animaux qui se révèlent au fur et à mesure que la mer se retire. C’est entendre les tractopelles qui se dépêchent de colmater les brèches des digues entre deux marées hautes. Même dix ans après. Parce que cette fin de week-end d’hiver 2010 a été dramatique, et qu’aujourd’hui certains en paient encore les conséquences.

La pluie ruisselle sur les baies vitrées de cette journée d’hiver 2020, le café fume sur la table de la cuisine. Antoine Priouzeau, le regard tourné vers ses champs, entame. « On est presque dans la même situation qu’en 2010. Il y a 10 ans, le blé qu’on avait semé avait été ravagé par Xynthia. Aujourd’hui, avec des sols détrempés, rien n’est fait. Dans les deux cas, des récoltes très compliquées voire inexistantes. »

Sainte-Radégonde-des-Noyers, l’agriculteur y a passé toute sa vie. Dans les heures qui ont suivi le passage de Xynthia sur le sud Vendée, le paysage qui s’offrait à lui n’avait pourtant plus rien de ce qu’il connaissait. En longeant la parcelle où l’attendaient ses chevaux au matin du 28 février, juchés sur une butte submergée leur permettant de n’avoir « que » le ventre léché par l’eau, les sensations reviennent. « C’était dangereux, il ne fallait pas tomber dans les fossés… Mais on ne les voyait plus. J’ai posé mon coude sur le dos du cheval et c’est lui qui m’a guidé pour retrouver la route et le camion. Au même moment, je voyais les hélicoptères qui hélitreuillaient les gens qui étaient sur les toits des maisons. »

Et depuis ? « L’impact psychologique a fait qu’il y a des personnes qui n’ont pas survécu. Des agriculteurs qui n’ont pas résisté, et qui sont partis » résume avec beaucoup de pudeur Antoine Priouzeau, comme un hommage à ces disparus qui ne feront jamais officiellement partie des 47 décès de la tempête.

>> Aller plus loin avec le podcast Xynthia, 10 ans après

Six à huit ans
pour retrouver une terre de qualité
« Mais il y a eu aussi une réactivité immédiate sur cette partie vendéenne pour refaire des digues, souligne l’agriculteur. Le syndicat mixte, le Département, les agriculteurs localement aussi, qui ont joué le jeu et cédé des terrains pour pouvoir faire des digues dignes de ce nom. La Préfecture aussi s’est engagée. On a, dans un temps record, trouvé les ressources humaines et les moyens financiers. »
Certains exploitants ont ainsi laissé 3, 4, 5 voire 10 hectares en bord de mer, sans forcément  recevoir un équivalent.

Les petits ponts de pierre qui enjambent les canaux ont, eux aussi, été renforcés. De grosses plaques de béton en prolongent désormais les côtés, des poutres métalliques vissées sur leur parapet les surélèvent de quelques dizaines de centimètres.

Mais les terres argileuses, elles, accusent encore le coup en quelques rares endroits. On les reconnaît, surtout en cette période très humide, à l’aspect blanc que le sel leur donne en remontant à la surface. Là, le gypse et son rôle de dessalinisateur sont encore nécessaires.
« Les terres de qualité moyenne ont mis six, huit ans et on eu besoin de plusieurs campagnes de gypse, lancées sous l’autorité de la FDSEA, pour se remettre, précise Antoine Priouzeau. Et le fait d’avoir apporté du gypse dès la première année a permis de retrouver un potentiel agricole relativement vite dans les sols les meilleurs. »

C’est sans doute du côté des élevages que la vague Xynthia est encore la plus présente. « Quand on veut tirer un revenu minimum de sa production, il faut cinq ans. Et on est performant au bout de dix ans, rappelle Antoine Priouzeau. La souffrance financière, économique, a donc duré pour les meilleurs cinq ans… Et il y en a qui souffrent encore. »
D’autant que le gypse était financé à 50% par les fonds publics, mais une partie de la moitié restante est encore en cours de remboursement, avec des annuités qui courent jusqu’en 2020 voire 2022.

Du rafistolage par endroit
140 km plus au nord, pas d’exploitation endeuillée au matin du 28 février. Mais des dégâts matériels dans la baie de Bourgneuf tout aussi phénoménaux, avec des ports détruits, des polders jonchés de déchets. Une vingtaine de brèches sur 21 km de digues.

« La solidarité a été incroyable, se souvient Christian Francheteau. Dès le dimanche 28 février, la production de béton a été relancée à La Barre-de-Monts, et des entreprises de tout le secteur sont venues pour colmater les trous. Il fallait absolument reboucher avant l’arrivée de la marée suivante qui aurait pu nous être fatale. »

Une réactivité qui détonne, peut-être, avec le bilan dix ans plus tard à Bouin comme à Beauvoir-sur-Mer. « Il y a du temporaire qui dure encore », regrette l’éleveur. Les 150 mètres de brèche sur la digue de la Parisienne, au sud du port du Collet, sont désormais solidement renforcés. Mais, faute à ce que le maire de Bouin appelle « des lourdeurs techniques » qui dépassent largement les compétences de la commune, c’est loin d’être le cas du côté du port du Bec.

Sur la digue du Daim, on ne compte plus les fissures entre les plaques, et certains trous y sont comblés avec du béton comme on essaie de colmater les nids de poule sur les routes. « Ce qui est inquiétant, traduit Christian Francheteau, c’est que si la mer s’y engouffre, et frappe en même temps dessus… Il va se produire une sorte d’aspiration, un effet ventouse. Aidée par l’eau passée en-dessous, la mer va arracher la digue par plaque. Et une fois que la terre, qui est juste en dessous, est mise à nue, il ne faut pas longtemps pour la grignoter et la percer. »

Dix ans après, dire que la page Xynthia est tournée serait donc vouloir clore le chapitre encore un peu trop tôt.