Magazine - Le paradoxe de l’anguille : une espèce en danger à la gestion difficile

Éric Feunteun, professeur du Muséum national d’Histoire naturelle en écologie marine, a expliqué le fonctionnement de l’anguille.

L’Association de défense de l’environnement en Vendée (Adev), via son inter-association dont fait partie Nature et Vie Vendée, a accueilli Éric Feunteun, professeur du Muséum national d’Histoire naturelle en écologie marine, directeur d’études cumulant de l’EPHE (École pratique des Hautes études) et LE spécialiste français de l’anguille à Brem-sur-Mer. Une salle comble encourageante pour ce premier événement de l’inter-association de l’Adev. 

L’anguille une espèce mystérieuse

Avec des années de recherche, dont les premières remontent à Aristote, de nombreuses découvertes ont été faites sur ce poisson. Il existe 16 espèces d’anguillidés connues dans le monde. Les ancêtres de l’anguille européenne seraient apparus il y a plus de 60 millions d’années. Cette longévité repose sur un cycle biologique à succès évolutif : la catadromie. C’est-à-dire que ce poisson vit en eau douce mais naît et se reproduit en mer, souvent très loin des côtes dans la mer des Sargasses. Les œufs donnent naissance à des larves de leptocéphales qui sont orientées par les courants marins vers les milieux côtiers. Les jeunes anguilles colonisent les milieux aquatiques continentaux où elles s’installent et grandissent pendant 5 à 20 ans en moyenne. Elles retournent ensuite à la mer pour se reproduire et mourir. Des recherches récentes ont permis de mieux comprendre le cycle biologique, les migrations marines, les mécanismes d’orientation, mais il n’y a toujours aucune certitude sur l’aire de reproduction et le comportement, aucun œuf, ni adulte n’ont pu être observés dans le milieu naturel. 

L’anguille une espèce menacée

Autrefois abondante au point d’être considérée comme une nuisance, l’anguille européenne a tellement décliné au cours des 40 dernières années qu’elle est désormais classée en danger critique d’extinction par l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature). Lors de sa conférence, Éric Feunten a aussi présenté les causes du déclin de l’anguille qui sont multi-factorielles : modification des régimes océaniques, surpêche, contamination par des polluants organiques et métalliques, difficulté de migration ainsi que la perte de l’habitat. Des espèces non indigènes comme le silure, la moule zébrée peuvent faire des dégâts directs par la prédation ou indirects par la modification des milieux. Les ouvrages sur cours d’eau peuvent représenter des obstacles à la migration, les estimations font état de 30 à 100% des populations d’anguille pouvant être bloquées par les barrages, entraînant des retards de migration ou de la mortalité. La pêche des anguilles et surtout des civelles, qui sont très prisées en Asie, a été régulée. Cependant, l’encadrement par le plan de gestion n’empêche pas la pêche illégale.

Des perspectives de gestion

Le plan de gestion européen, promulgué en 2010, visait principalement la réduction de l’effort de pêche et, dans une moindre mesure, la restauration de la continuité écologique. Les effets sont difficilement estimables car la connaissance précise de la population d’anguilles européennes est difficile et les signes de rétablissement restent donc difficiles à mesurer. De 2011 à 2022, une opération de repeuplement a été réalisée avec 28 tonnes de civelles réintroduites. L’étude du cycle de l’anguille a permis de préciser les périodes de migration pour ouvrir les barrages aux moments les plus opportuns. Les scientifiques sont capables d’indiquer aux gestionnaires d’ouvrages la période de reproduction, en gérant une ouverture de 10 jours, il est possible de faire passer 80% des anguilles argentées. Le plan de gestion européen n’avait pas d’effet sur la qualité de l’eau mais c’est également un point important qui peut dégrader le milieu de vie des anguilles. Ainsi, au-delà de la mortalité directe, le manque ou une mauvaise alimentation entraîne une migration forcée avec des risques de mortalité de l’espèce. Les produits chimiques dont les médicaments non traités par les stations d’épuration, les microplastiques dont la concentration augmentent dans la mer des Sargasses font partie des inquiétudes des chercheurs quant à leur impact sur la reproduction de l’anguille.

Éric Feuteun a conclu son intervention par un constat simple avant un échange avec la salle : « Les solutions seront à trouver collectivement et non les uns contre les autres. » Conclusion partagée par l’inter-association de l’ADEV qui se félicite d’avoir apporté de la connaissance au public présent et rappelle que la biodiversité et le milieu naturel des marais salés vendéens ne doivent leur bon état écologique qu’aux contributions de l’homme. Ceci démontrant l’intérêt d’un travail en commun pour comprendre et agir sur les problématiques pour conduire à une approche de solutions. 

Henri Majou